Opinion

Nous poursuivons notre vol, mais avec du plomb dans l’aile

Deux fois par an, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) interroge ses fédérations sectorielles pour mesurer la température économique (*). L’enquête réalisée au mois de novembre montre que l’économie belge a mieux résisté que ce que l’on aurait pu attendre à la suite de la plus forte poussée inflationniste depuis les années 1970. Mais elle pointe également le fait que notre économie évolue actuellement à deux vitesses : un secteur des services qui continue à surfer sur une forte vague de rattrapage post-COVID-19 et un secteur industriel qui voit la production et l’emploi décliner en raison d’une détérioration de la compétitivité due à une forte augmentation des coûts salariaux et énergétiques. Il apparaît clairement que nous poursuivons notre vol, mais avec du plomb dans l’aile.

Un secteur des services en pleine forme masque une récession industrielle

Au troisième trimestre, l’économie belge a connu une croissance plus rapide que prévu, soit +0,5% par rapport au deuxième trimestre. Cette performance meilleure que prévu est principalement due à la forte croissance de la consommation des ménages. Ceux-ci ont pu bénéficier d’une solide augmentation de leur revenu réel disponible grâce à l’indexation automatique des salaires et à une situation toujours favorable sur le marché du travail. En outre, il était encore question d’une demande de rattrapage post-COVID-19 qui a permis à un certain nombre de secteurs des services, tels que l’horeca, le tourisme et l’événementiel, d’enregistrer de très bons résultats.

À l’opposé de ces bons résultats, nous trouvons un secteur industriel très en difficulté dans certains segments à forte intensité énergétique (chimie, papier, verre, textile), un secteur de la construction neuve sévèrement touché par la hausse des taux d’intérêt et un secteur du commerce encore mal armé pour faire face à la concurrence du commerce électronique et des achats transfrontaliers.

Depuis septembre, les mauvaises nouvelles pour la construction, l’industrie et le commerce se multiplient : fermetures d’entreprises, faillites en forte augmentation et nette détérioration de l’indicateur conjoncturel de la BNB dans ces secteurs.

Les résultats de l’enquête de novembre auprès de nos fédérations sectorielles confirment cette récente tendance défavorable. 60% de nos secteurs indiquent que l’activité est plus faible aujourd’hui qu’il y a six mois, et ils sont également plus nombreux à prévoir une nouvelle baisse pour les six prochains mois qu’une amélioration. Le fait qu’aucun secteur industriel ne s’attende à une amélioration et qu’aucun secteur des services ne s’attende à une détérioration est caractéristique de l’évolution conjoncturelle ambivalente de notre économie.

De sombres perspectives

En 2023, nous avons par ailleurs observé un recul des volumes de transactions commerciales qui s’est intensifié au fil de l’année. La contraction du volume des exportations a chaque fois été plus forte que celle du volume des importations. Cette situation est imputable à l’affaiblissement de notre compétitivité, qui a entraîné une importante perte de parts de marché. Et étant donné que les effets de la compétitivité ne s’expriment généralement pleinement dans nos résultats à l’exportation qu’avec un certain retard, la contribution des exportations nettes devrait encore diminuer en 2024.

Dans notre enquête, le changement le plus important concerne l’emploi. Alors qu’en mai, on dénombrait à peu près autant de secteurs prévoyant une augmentation de l’emploi que de secteurs prévoyant une diminution, en novembre, la tendance est nettement à la baisse.

Certaines réponses sont en outre singulières. Au cours des six derniers mois par exemple, le secteur des TIC a connu une baisse de l’emploi pour la première fois en dix ans, ce qui n’est pas surprenant après une indexation des salaires de 11,08% au sein de la CP 200 en janvier 2023. Cet assombrissement des perspectives d’emploi suggère que le ralentissement de l’économie et la forte augmentation des coûts salariaux incitent peu à peu les entreprises à réduire leurs effectifs, par exemple en ne remplaçant plus toutes les personnes qui partent.

Les entreprises investissent dans leur résilience pour l’avenir

En 2023, les investissements des entreprises ont enregistré une croissance étonnamment forte (+ 8,5%). L’enquête montre que vu la forte augmentation des coûts salariaux, des entreprises investissent à nouveau davantage dans l’automatisation, pour réaliser des économies sur les frais de main-d’œuvre. Cependant, la dynamique d’investissement a été principalement portée par des investissements dans l’innovation, l’écologisation et la digitalisation.

Toutefois, le resserrement des conditions de crédit, la diminution des réserves de liquidités et le faible taux d’utilisation des capacités devraient considérablement freiner les investissements des entreprises en 2024. C’est aussi ce que l’on peut lire dans les perspectives des secteurs, qui sont devenus plus pessimistes quant aux investissements par rapport à l’enquête réalisée au mois de mai. Nous prévoyons dès lors que la croissance des investissements des entreprises retombera à 1,9% en 2024.

Une tâche difficile pour le prochain gouvernement

Le prochain gouvernement aura trois missions difficiles à remplir : assainir les finances publiques dans le rouge, sortir l’industrie belge du marasme et empêcher l’emploi de régresser. Il s’agira de remplir avec succès ces trois missions, étroitement liées, si nous voulons continuer à évoluer vers un déficit budgétaire inférieur à 3%, un taux d’emploi de 80% et un tissu économique durable. Attelons-nous donc rapidement à l’élaboration d’un pacte de relance décisif et efficace qui renforcera la compétitivité de nos entreprises et la prospérité dans notre pays.

(*) Focus Conjoncture – Croissance maintenue, mais bases fragiles

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